Le Conseil des ministres espagnol a approuvé, lors de sa réunion du 4 novembre 2025, l’avant-projet de loi connu sous le nom de « Statut des Stagiaires ». Portée par le ministère du Travail et de l’Économie sociale, la norme est présentée comme une « réforme du travail pour les nouvelles générations », conçue avec l’objectif principal d’éradiquer la figure du « faux stagiaire » et d’interdire le remplacement de postes de travail par des étudiants en formation.
- Le nouveau cadre réglementaire : ce qui change avec le Statut des Stagiaires
- De l’accord syndical à l’approbation en « première lecture »
- Objectif déclaré : la fin du « faux stagiaire »
- Nouvelles limites quantitatives et qualitatives
- Le régime de sanctions : un durcissement drastique
- Analyse de l’impact économique direct sur les PME et les indépendants
- La « double charge » : cotisations (2024) et compensation (2025)
- Coût 1 : les cotisations sociales (en vigueur depuis janvier 2024)
- Coût 2 : la nouvelle « compensation des frais » (le cœur du statut)
- La réaction de l’ATA et de la CEPYME : « l’asphyxie réglementaire »
- Comparaison des charges pour l’entreprise d’accueil (Avant 2024 vs. Après-Statut 2025)
- Les acteurs oubliés : le conflit avec la communauté universitaire
- La position de la CRUE : soutien aux droits, rejet de « l’improvisation »
- La bombe à retardement : l’« effet de substitution » des coûts
- La vision étudiante (CREUP) : un soutien critique
- Viabilité politique et conclusions de l’expert
Pour ce faire, le Statut introduit deux mécanismes clés : l’obligation pour les entreprises de compenser les frais de restauration, de logement ou de transport des étudiants, et un durcissement drastique du régime de sanctions, avec des amendes pouvant atteindre 225 018 euros.
Cette analyse conclut que, si le diagnostic du problème (la fraude au travail) est correct, la solution proposée est économiquement non viable et a été négociée dans le dos d’acteurs cruciaux. Ces nouvelles obligations s’ajoutent à la cotisation à la Sécurité Sociale déjà en vigueur pour tous les stagiaires depuis janvier 2024, créant une « double charge » que les PME et les indépendants rejettent, la considérant comme une « asphyxie réglementaire ».
Plus grave encore, la norme ignore le financement de ses propres mesures. La Conférence des recteurs des universités espagnoles (CRUE) dénonce ne pas avoir été consultée et alerte sur un risque systémique : tout comme pour les cotisations de 2024, que les universités assument déjà pour un coût de plusieurs millions d’euros face au refus des entreprises, la nouvelle « compensation des frais » retombera de facto sur les « comptes mal en point » des universités publiques.
Le Statut naît donc avec le rejet frontal du patronat (CEOE, CEPYME), des universités (CRUE) et de l’opposition parlementaire (PP), tout en révélant des frictions internes au sein même du gouvernement de coalition. En conséquence, sa viabilité parlementaire est considérée comme pratiquement nulle.
Pour les PME et les indépendants, le risque immédiat n’est pas ce Statut, mais le non-respect de la réglementation déjà en vigueur : la cotisation obligatoire depuis 2024 et la surveillance croissante de l’Inspection du Travail contre la « présomption de salariat ».
Le nouveau cadre réglementaire : ce qui change avec le Statut des Stagiaires
De l’accord syndical à l’approbation en « première lecture »
Le 4 novembre 2025, le Conseil des ministres a approuvé en « première lecture » l’avant-projet de loi sur le statut des personnes en formation pratique non salariée en entreprise. Cette initiative, menée par la deuxième vice-présidente et ministre du Travail, Yolanda Díaz, a été qualifiée par son ministère de « réforme du travail pour les nouvelles générations dans notre pays ».
L’approbation du texte arrive avec un retard notable. L’avant-projet se fonde sur un accord que le ministère du Travail a scellé exclusivement avec les syndicats Comisiones Obreras (CCOO) et Unión General de Trabajadores (UGT) en 2023. Le fossé de plus de deux ans entre la signature de cet accord et son arrivée en Conseil des ministres n’est pas une procédure habituelle. Ce laps de temps témoigne des profondes « divergences internes » que la norme a générées au sein du gouvernement de coalition, notamment entre le PSOE et Sumar.
De fait, l’approbation a eu lieu en « première lecture ». Il s’agit d’une étape préliminaire dans le processus législatif espagnol. Cela signifie que l’avant-projet n’est pas encore envoyé au Congrès ; il doit d’abord être soumis à une période de plusieurs mois pour recueillir les rapports obligatoires d’autres organismes avant de revenir au Conseil des ministres pour une « seconde lecture » et son approbation en tant que projet de loi. Cette procédure, qui s’annonce longue car non urgente, suggère que l’approbation initiale était davantage une manœuvre politique de l’aile Sumar du gouvernement pour satisfaire ses alliés syndicaux qu’une initiative législative cohérente et consensuelle.
Objectif déclaré : la fin du « faux stagiaire »
L’objectif explicite et central du Statut est de définir clairement la frontière entre une activité de formation et une relation de travail ordinaire. Selon les termes de la ministre Díaz, les stages doivent être destinés « simplement à apprendre, à se former », et « non à remplacer les travailleurs dans les entreprises ».
Cette législation répond directement à une revendication historique des syndicats, qui célèbrent la norme comme la fin de « l’exploitation » des étudiants et de leur utilisation comme « main-d’œuvre gratuite ». Les organisations syndicales ont été très actives dans la dénonciation de cette pratique. L’UGT a estimé que l’utilisation frauduleuse de stagiaires a permis aux entreprises d’économiser plus de 1,143 milliard d’euros en cotisations sociales. De son côté, CCOO calcule qu’en Espagne, environ 500 000 étudiants effectuent des stages chaque année, un volume qui complique le contrôle et facilite la fraude.
Ce contexte explique la nature du Statut : c’est, par essence, une norme d’inspection et de sanction, plus qu’une norme de promotion de la formation. Son articulation se concentre sur la « présomption de salariat en cas de fraude » et sur l’interdiction explicite d’assigner aux étudiants des tâches non liées à leur plan de formation, comme le remplacement de personnel pendant les vacances.
Cependant, la conception de la loi révèle un déséquilibre fondamental. Le gouvernement tente de résoudre un problème de fraude au travail (le remplacement d’employés, qui relève de l’Inspection du Travail) en utilisant un outil de réglementation académique (la convention de stage). Cette approche est la cause principale du conflit généré avec les universités. Le ministère a créé une réglementation qui impose des coûts et de la bureaucratie, non seulement à l’entreprise fautive, mais aussi à l’entité qui gère le stage (l’université), qui se retrouve piégée dans une bataille de droit du travail qui ne la concerne pas. En légiférant dans le dos de la communauté universitaire, le ministère a manqué sa cible : pour punir les entreprises frauduleuses, il a chargé de coûts et de responsabilités l’intermédiaire académique, un acteur nécessaire et à but non lucratif.
Nouvelles limites quantitatives et qualitatives
Pour concrétiser le contrôle de la fraude, l’avant-projet établit une série de limites objectives et mesurables, conçues pour faciliter le travail d’inspection :
- Plafonnement des heures : Le texte s’attaque directement aux stages hors cursus, les plus susceptibles de dissimuler des relations de travail. Le Statut les limite à un maximum de 480 heures totales, ou, alternativement, à 15 % des heures de crédits ECTS du diplôme.
- Plafonnement du nombre d’étudiants par effectif : Un plafond général est fixé : le nombre de personnes en formation pratique ne pourra pas dépasser 20 % de l’effectif total de l’entreprise. De plus, des ratios spécifiques sont établis pour les PME :
- Entreprises de 1 à 10 salariés : 1 stagiaire.
- Entreprises de 11 à 30 salariés : 2 stagiaires.
- Entreprises de 31 à 59 salariés : 3 stagiaires.
- Plafonnement du tutorat : Un tutorat « adéquat » est exigé et la figure du tuteur en entreprise est réglementée. Fait crucial, il est établi qu’un même tuteur ne pourra pas avoir à sa charge plus de cinq étudiants simultanément.
Ces limites numériques (20 % de l’effectif, ratio 1:5 tuteur/stagiaires) sont les outils juridiques les plus puissants de la norme, car ils offrent à l’Inspection du Travail des « signaux d’alarme » objectifs qui facilitent la « présomption de salariat ».
Néanmoins, ces limites génèrent des coûts indirects. Pour un indépendant ou une PME, la limitation d’un tuteur pour cinq étudiants représente un coût caché d’opportunité qui peut être plus dissuasif que les paiements directs eux-mêmes. L’entrepreneur devra assigner l’un de ses employés les plus qualifiés (le seul apte à être tuteur) à des tâches de supervision. Le temps que cet employé senior consacre à la formation est du temps où il n’est plus 100 % productif ou facturable. Ce coût d’opportunité, non quantifié dans la loi, décourage le tutorat de qualité et, par extension, l’offre même de places de stage.
Le régime de sanctions : un durcissement drastique
Le Statut renforce explicitement le rôle de l’Inspection du Travail et de la Sécurité Sociale (ITSS) dans la surveillance du respect de cette réglementation. Pour ce faire, un régime de sanctions spécifique est créé au sein de la Loi sur les Infractions et Sanctions dans l’Ordre Social (LISOS).
La mesure la plus médiatisée a été l’établissement d’amendes pouvant atteindre 225 018 euros pour les infractions considérées comme très graves. Aligner la sanction maximale pour fraude au stage sur les sanctions les plus élevées de la LISOS (destinées à des fraudes à grande échelle, comme celle des « faux indépendants ») est une déclaration d’intention : le gouvernement assimile légalement le « faux stagiaire » aux formes les plus graves de travail dissimulé.
Cependant, pour la PME et l’indépendant, le chiffre de 225 018 euros est, en grande partie, du bruit médiatique. Le véritable risque juridique et financier n’est pas cette amende maximale, mais l’application de la « présomption de salariat ».
Le véritable danger pour une petite entreprise est le suivant : si un inspecteur du travail détermine qu’un étudiant effectuait des tâches structurelles et remplaçait un travailleur, il déclarera que cette personne était un salarié depuis le premier jour, et non un stagiaire. Dans ce scénario, la PME ne sera (généralement) pas confrontée à l’amende de 225 000 euros, mais à quelque chose qui peut être économiquement pire : l’obligation de payer rétroactivement tous les salaires impayés (calculés selon la convention collective applicable) et toutes les cotisations sociales (à 100 %, sans bonification) avec les majorations et intérêts correspondants. Ce redressement pour des mois, voire des années, de « faux stage » est le véritable élément dissuasif et celui qui peut compromettre la viabilité d’une petite entreprise.
Analyse de l’impact économique direct sur les PME et les indépendants
La « double charge » : cotisations (2024) et compensation (2025)
L’article qui motive cette analyse, affirmant que la loi « fera exploser les coûts » des indépendants et des PME, se fonde sur l’accumulation de deux charges économiques imposées en peu de temps.
- Charge 1 (en vigueur) : La cotisation à la Sécurité Sociale de tous les étudiants en stage (rémunérés ou non), en vigueur depuis le 1er janvier 2024.
- Charge 2 (proposée) : La nouvelle obligation de compenser les frais introduite par le Statut des Stagiaires.
L’indignation du tissu entrepreneurial ne provient pas seulement du montant de ces nouvelles charges, mais de la superposition des réglementations dans un contexte économique déjà complexe, marqué par la hausse du salaire minimum (SMI), la numérisation obligatoire et l’augmentation des cotisations.
Coût 1 : les cotisations sociales (en vigueur depuis janvier 2024)
Depuis le 1er janvier 2024, en application du Décret-loi Royal 2/2023, il est obligatoire d’affilier à la Sécurité Sociale tous les élèves effectuant des stages de formation ou des stages académiques externes, qu’ils soient rémunérés ou non.
Dans le cas des stages non rémunérés (la grande majorité), cette cotisation est bonifiée à 95 %. Le coût réel est donc très réduit. La cotisation journalière s’élève à 2,36 euros pour les risques communs et 0,29 euro pour les risques professionnels. Cela se traduit par une cotisation mensuelle maximale d’environ 60,76 euros et un coût annuel moyen par stagiaire estimé à environ 200 euros.
Comme le définissent certaines sources, le coût direct est « infime ». Le véritable impact pour l’indépendant ou la PME n’est pas le décaissement, mais la charge administrative. L’employeur doit gérer les affiliations et les radiations à la Sécurité Sociale pour chaque étudiant et, de plus, liquider les cotisations trimestriellement. Cela ajoute de la bureaucratie, des frais de gestion comptable et une complexité de gestion qui n’existait pas auparavant.
Mais l’analyse de cette norme de 2024 est cruciale car elle sert d’expérience ratée qui anticipe l’échec du Statut de 2025. La loi sur les cotisations de 2024 a créé une obligation de paiement sans mécanisme de financement clair. Elle établissait que le paiement incombait à « l’entité qui finance le programme » ou, à défaut, à l’entreprise. En pratique, la majorité des entreprises et des institutions publiques ont refusé d’assumer ce nouveau coût.
Pour éviter l’effondrement du système (que les étudiants ne puissent pas obtenir leur diplôme) et pour « rassurer », les universités (CRUE) ont été contraintes d’assumer le paiement. Les universités publiques espagnoles assument un coût estimé à 9 millions d’euros par an, en plus de « l’énorme » charge de gestion de quelque 400 000 stages, « sans que cela ne leur incombe directement ». Le Statut de 2025 répète exactement cette erreur : il impose un nouveau coût (la compensation des frais) en supposant que les entreprises paieront, alors que l’expérience de 2024 démontre qu’elles ne le feront pas, et que la facture retombera, une fois de plus, sur les universités.
Coût 2 : la nouvelle « compensation des frais » (le cœur du statut)
La véritable augmentation des coûts introduite par l’avant-projet de 2025 est la « compensation des frais ». Le texte oblige l’entreprise à compenser « pour un montant minimum » les frais engagés par l’étudiant, tels que le transport, le logement ou la restauration.
Il est fondamental de clarifier que ce n’est pas un salaire. Le Statut, de fait, n’oblige pas à rémunérer le stage.
Le principal problème de cette mesure est sa dangereuse imprécision. La norme ne fixe pas de montant, mais un concept (« compenser »). Cela génère une insécurité juridique totale pour la PME. Combien est « suffisant » pour « couvrir » la dépense? Doit-on payer l’abonnement de transport (ex: 20 €/mois) ou aussi la restauration (ex: 12 €/jour de menu, soit 240 €/mois)? Pire encore, la loi mentionne le « logement ». La PME doit-elle couvrir le coût d’une chambre pour un étudiant qui décide de déménager pour effectuer le stage?
Ce coût indéfini est un facteur de dissuasion bien plus puissant qu’un coût fixe. Une PME peut budgétiser 100 euros par mois, mais elle ne peut pas budgétiser une obligation légale de couvrir le « logement », un coût qui pourrait s’élever à des centaines d’euros. Cette imprécision crée un risque évident de contentieux. Un étudiant pourrait poursuivre l’entreprise (avec le soutien des syndicats) en considérant que la compensation offerte est insuffisante. La PME s’expose à ce qu’un inspecteur ou un juge décide a posteriori quel était le montant « suffisant ».
La réaction rationnelle de l’employeur, comme le signalent la Chambre de Commerce et les Conseils Sociaux, sera d’éviter ce risque juridique et financier imprévisible de la seule manière possible : en cessant de proposer des stages.
La réaction de l’ATA et de la CEPYME : « l’asphyxie réglementaire »
La réaction du tissu entrepreneurial a été unanimement négative. Le patronat (CEOE et CEPYME) et la principale association d’indépendants (ATA) rejettent frontalement la norme. Lorenzo Amor, président de l’ATA, a vivement critiqué l’accumulation des charges, plaçant cette loi dans un contexte général d’augmentation des coûts (salaire minimum, cotisations) que les PME perçoivent comme une « asphyxie réglementaire ».
La Chambre de Commerce d’Espagne, dans son rapport d’observations, a été catégorique : la norme « découragera » l’offre de stages par les entreprises et augmentera les coûts réglementaires et économiques sans justification.
Il se produit ainsi une alliance de facto entre le patronat et les universités (CRUE), tous deux opposés à la loi. Cependant, il est vital de comprendre qu’ils s’y opposent pour des motifs diamétralement opposés. Le patronat ne veut pas payer les nouveaux coûts. La CRUE, en revanche, craint que le patronat ne paie pas et que la facture, une fois de plus, retombe sur l’université. Les deux acteurs, depuis des perspectives contraires, arrivent à la même conclusion : la loi est financièrement non viable.
Comparaison des charges pour l’entreprise d’accueil (Avant 2024 vs. Après-Statut 2025)
Le tableau suivant synthétise l’évolution des obligations et des coûts pour un indépendant ou une PME accueillant un étudiant en stage non rémunéré, démontrant l’accumulation des charges.
| Caractéristique du stage | Situation Avant Janv. 2024 | Situation Actuelle (RDL 2/2023) | Proposition Statut 2025 |
| Cotisation Séc. Soc. (Non rémunéré) | Non obligatoire. | Obligatoire. | Maintien de l’obligation. |
| Coût Cotisation (Estimé) | 0 € | ~200 €/an (Coût bonifié à 95 %). | Maintien ~200 €/an. |
| Charge de Gestion (Déclarations Séc. Soc.) | Faible (Convention seule). | Élevée. Paiements trimestriels. | Maintien Charge Élevée. |
| Compensation des Frais | Volontaire. | Volontaire. | Obligatoire (Montant indéfini). |
| Limites d’étudiants (Effectif) | Non (Sujet à fraude). | Non. | Oui (Max 20 % effectif ; ratios PME). |
| Limites de Tutorat | Non (Informel). | Non. | Oui (Max 5 étudiants/tuteur). |
| Risque de Sanction | Faible (Fraude difficile à prouver). | Moyen. | Extrême (Jusqu’à 225.018 €, présomption de salariat). |
| Source de Financement Réelle | Entreprise (si volontaire). | Université (par non-paiement des entreprises). | Conflit Ouvert (PME vs. Université). |
Les acteurs oubliés : le conflit avec la communauté universitaire
La plus grande erreur stratégique dans l’élaboration du Statut a été l’exclusion de la communauté universitaire de sa négociation, un fait qui a provoqué le rejet frontal du système qui gère la majorité des stages en Espagne.
La position de la CRUE : soutien aux droits, rejet de « l’improvisation »
La Conférence des recteurs et rectrices des universités espagnoles (CRUE) est, avec le patronat, l’acteur le plus critique envers la norme. Les recteurs dénoncent le fait que l’avant-projet a été négocié et rédigé sans consulter la communauté universitaire, un fait incompréhensible étant donné que les stages sont une activité académique réglementée.
La position de la CRUE est nuancée : ils « valorisent positivement » et « soutiennent » les nouveaux droits pour les étudiants, comme la compensation des frais ou la protection en cas de maladie. Cependant, ils expriment leur « énorme préoccupation » quant à la « viabilité économique » de la loi. Ils avertissent que, si la coresponsabilité des entreprises n’est pas garantie, la norme générera une forte dissuasion qui « compromettra la continuité » du modèle de stages.
Le ministère du Travail a commis l’erreur de négocier une réforme académique comme s’il s’agissait d’une réforme du travail (uniquement avec les syndicats). La CRUE ne s’oppose pas à ce que les étudiants reçoivent une compensation ; elle s’oppose à ce que le ministère crée un droit sans allouer de ligne budgétaire pour le payer. Les recteurs savent, par l’expérience de 2024, que cette facture retombera inévitablement sur les universités, et ils accusent le gouvernement d' »improvisation » et de légiférer « dans le dos » de la réalité financière du système.
La bombe à retardement : l’« effet de substitution » des coûts
La clé pour comprendre l’avenir du Statut est la « bombe à retardement » activée avec la cotisation de 2024. Comme le confirment la CRUE et les analyses des médias, les universités assument déjà le coût de 9 millions d’euros par an et « l’énorme » charge de gestion des cotisations, « sans que cela ne leur incombe directement », pour « rassurer leurs étudiants » et sauver l’année académique.
Les universités sont piégées dans un dilemme insoluble. Les stages curriculaires (intégrés au cursus) sont, dans de nombreuses filières, obligatoires pour que les étudiants obtiennent leur diplôme. Si les entreprises, face aux nouveaux coûts du Statut (cotisation + compensation), cessent de proposer des places, l’université n’a que deux options :
- Laisser le système s’effondrer et ses étudiants ne pas pouvoir être diplômés.
- Payer elle-même les coûts (la cotisation, comme elle le fait déjà, et la nouvelle compensation) pour « sauver » l’offre de places et garantir l’obtention des diplômes.
La loi crée une incitation perverse pour les entreprises. Elles savent que si elles refusent de payer, l’université (l’acteur le plus faible, mais ayant l’obligation académique) devra couvrir le coût pour éviter un effondrement. Le résultat prévisible est que le Statut, conçu pour mettre fin à la « main-d’œuvre gratuite », finisse par institutionnaliser le fait que les universités (avec de l’argent public) subventionnent les stages de formation dans des entreprises privées, pendant que le ministère du Travail s’attribue une victoire sociale.
La vision étudiante (CREUP) : un soutien critique
Même les bénéficiaires théoriques de la norme, les étudiants, maintiennent une position critique. La Coordination des représentants d’étudiants des universités publiques (CREUP) s’est jointe aux plaintes de la CRUE, dénonçant le fait que le ministère a ignoré la communauté universitaire lors de la négociation.
Bien qu’ils soutiennent l’élargissement des droits, la CREUP considère que la « compensation des frais » est insuffisante. Leur revendication est une « rémunération juste » qui compense non seulement les frais, mais aussi le « coût d’opportunité » que représente pour l’étudiant le temps consacré au stage. La loi actuelle ne satisfait pas cette demande, car elle n’oblige explicitement pas à rémunérer.
La plus grande menace pour les étudiants est la conséquence non désirée de la loi. Si les avertissements de la CRUE et des Conseils Sociaux se réalisent, les étudiants auront plus de droits sur le papier, mais moins de stages dans la réalité, ce qui entravera leur accès au marché du travail et, dans de nombreux cas, l’obtention même de leur diplôme.
Viabilité politique et conclusions de l’expert
Un labyrinthe parlementaire : viabilité nulle
Le parcours parlementaire du Statut des Stagiaires s’annonce court et voué à l’échec. Le fait qu’il n’ait été approuvé qu’en « première lecture », et non comme un projet de loi complet, indique déjà sa faiblesse. Il doit passer des mois d’examens avant une « seconde lecture » et son envoi ultérieur au Congrès.
La norme fait face à un triple blocage :
- Friction interne : Les « divergences » publiques entre les partenaires de la coalition gouvernementale (PSOE et Sumar) font douter du consensus nécessaire pour défendre la loi.
- Opposition politique : Le Parti Populaire (PP) a déjà « laissé entendre son rejet » de la mesure, la considérant comme vouée à l’échec.
- Opposition des acteurs : C’est l’une des rares lois à avoir réussi à unir contre elle à la fois le patronat (CEOE/CEPYME) et les universités (CRUE).
Avec ce panorama, la loi a « peu de chances de voir le jour au Congrès ». Elle est, en pratique, politiquement morte. Son approbation en Conseil des ministres semble davantage être un acte symbolique de Yolanda Díaz pour respecter son agenda avec les syndicats qu’une initiative législative viable. La seule façon pour que cette loi prospère nécessiterait un amendement incluant un financement direct de l’État (une ligne dans le budget général de l’État pour couvrir la compensation), ce qui n’est pas envisagé.
Diagnostic de l’expert : un problème réel, une solution incomplète
En tant qu’analyste, le diagnostic du ministère du Travail (l’abus généralisé du « faux stagiaire ») est correct. Le problème est réel, il nuit au marché du travail et précarise l’entrée des jeunes dans l’emploi.
Cependant, la solution (le Statut) est profondément défectueuse car elle ignore l’économie des incitations. Elle tente d’imposer un coût significatif à une activité (l’offre de stages de formation) qui est volontaire pour les entreprises. La conséquence logique de taxer une activité volontaire n’est pas que les entreprises paient, mais qu’elles cessent de participer au système.
La loi confond un problème de droit du travail (la fraude, qui doit être poursuivie par l’Inspection du Travail) avec une activité académique (la formation). Ce faisant, elle fait porter les coûts sur le maillon le plus faible (l’université, qui a l’obligation de diplômer ses étudiants) et menace de détruire le pont même entre la formation et l’emploi qu’elle prétendait réguler.
Scénarios futurs et recommandations stratégiques pour les PME et les indépendants
Scénario 1 (Le plus probable) : Le Statut est enterré au Parlement.
La loi n’est pas approuvée.
- Action pour les PME : Le soulagement n’est que partiel et temporaire. L’obligation de cotiser pour les stagiaires (RDL 2/2023) reste en vigueur. L’Inspection du Travail intensifie déjà sa surveillance sur les « faux stagiaires », indépendamment de cette loi. Les PME doivent régulariser leurs cotisations de 2024 et 2025 immédiatement pour éviter des sanctions.
Scénario 2 (Peu probable) : Le Statut est adopté.
- Action pour les PME : Si la loi venait à être approuvée, les PME devraient prendre des décisions drastiques :
- Assumer le coût total : (Cotisation + Compensation + Temps de tutorat). Cela ne sera viable que si le stagiaire apporte une valeur tangible presque dès le premier jour.
- Réduire drastiquement l’offre : Annuler toutes les places de stages hors cursus (les plus chers et limités par la loi) et ne conserver que le minimum obligatoire de stages curriculaires.
- Mettre la pression sur l’université : Négocier avec l’université d’origine pour que ce soit elle qui assume le coût de la « compensation des frais », répliquant le modèle de facto déjà en place avec la cotisation.
Recommandation stratégique de l’analyste :
Indépendamment de la viabilité du Statut, la tendance réglementaire est claire. Il est recommandé aux indépendants et aux PME d’adopter deux mesures défensives à caractère immédiat :
- Audit immédiat des cotisations : La meilleure défense face à une inspection est la conformité. Vérifier aujourd’hui que les affiliations et les paiements trimestriels de la cotisation bonifiée sont effectués pour tous les étudiants en stage est la priorité numéro un.
- Documenter la formation : Le plan de formation doit être réel, détaillé et documenté. Le stagiaire ne peut remplacer personne ni effectuer de tâches structurelles. Disposer d’un plan de formation solide et de preuves du tutorat est la seule défense légale efficace contre une « présomption de salariat » et le ruineux redressement des salaires et cotisations impayés.





